Le musée de société incarne, pour reprendre les termes de Georges Henri Rivière, « un miroir où la population peut se reconnaître » 1 . Il est conçu pour représenter un espace de dialogue entre savoirs institutionnels et vécus, et un lieu capable de rendre visibles des mémoires souvent marginalisées. Cependant, nous l’avons vu, la vocation du musée de société se heurte parfois à ses propres contraintes institutionnelles : le devoir de validité scientifique et de démocratie. La bienséance, résultant de ces devoirs, limite les possibles, et ainsi la représentation de la complexité sociétale. En effet, la bienséance poussant au conventionnel, elle écarte le social, qui lui ne rentre pas toujours dans le conventionnel. Ces adversités ont pour résultat de figer le musée de société. Cependant, pour être pleinement social, nous l’avons vu, ce dernier a besoin d’évoluer en permanence, avec la société. Nous avons exploré, au travers de ce mémoire, ces tensions et proposé des solutions pour générer une nouvelle forme d’évolution du musée de société.
Afin de mener à bien notre réflexion, nous avons développé une expérience visant à éprouver le musée de société : l’exposition radicale de l’objet muséal “témoignage”. Ce parti pris nous permettait d’explorer les limites de cette institution, afin de relever les principes fondamentaux et ceux plus superficiels, modifiables, composant cette institution. Le but était le suivant : développer la part sociale du musée de société, allant dans le sens de l’expression individuelle libre, inspirée du modèle de communication actuel des réseaux sociaux.
Au fil de cette analyse, une question centrale a émergé : jusqu’où le musée de société peut-il aller pour intégrer l’expression individuelle sans renier son essence institutionnelle ? Nous avons progressivement tiré certaines épingles du jeu, en relevant notamment que l’expression individuelle était possible dans le musée de société, à condition qu’il puisse encadrer le propos. Afin de la laisser le plus libre possible, et ainsi de développer pleinement la part sociale du musée de société, l'institution pourrait se positionner comme arbitre d’un débat généré par les témoignages. En adoptant une posture de cadre, dont le social serait le contenant principal, le musée devient modérateur d’un espace où les tensions sociétales sont mises en dialogue démocratiquement. Cette approche pourrait permettre au musée de société d'évoluer en produisant une réponse aux enjeux contemporains, notamment en intégrant des principes inspirés des réseaux sociaux, tels que l’instantanéité et la participation collective.
Cette réponse passe par une évolution du musée de société harmonisant ses principes fondateurs et la pérennité de la rigueur scientifique, entre temps courts sociaux et temps longs institutionnels. En effet, l’hypothèse d’une exposition radicale du témoignage a démontré le potentiel de l’expression personnelle libre en tant que catalyseur d’une réflexion collective sur la démocratie.
Ce mémoire a enrichi une réflexion globale sur le rôle du design dans la médiation culturelle. Il a confirmé que le design doit être un outil social avant tout, capable de matérialiser des concepts complexes et de créer des supports accessibles à tous. La démarche de projet qui fera suite à cette recherche s'inscrit dans cette continuité, cherchant à concrétiser les réflexions élaborées à travers le développement de matrices scénographiques et muséographiques innovantes. En s’appuyant sur les principes suivants : instantanéité, débat sociétal, éphémère et exposition collaborative, ce projet explorera des dispositifs capables d’articuler libre expression et encadrement institutionnel.
Ce mémoire a permis de développer une compréhension profonde des enjeux institutionnels et sociaux des musées, tout en affinant une approche personnelle du design. Il a ouvert la voie à une méthode de conception ancrée dans l’expérience de la radicalité, un outil de recherche permettant de relever avec pertinence des biais de réflexions riches et pluriels. Ce processus a également renforcé l’importance attribuée au rôle du designer en tant que médiateur, capable de transformer des tensions en opportunités d’innovation.
Enfin, cette démarche se veut expérimentale et évolutive. Les outils et propositions issus de cette recherche seront confrontés à la réalité dans le cadre du projet de diplôme, afin de développer tous leurs potentiels et leurs richesses. Cela permettra d’affiner les solutions pour répondre à une question clé : comment le design peut-il devenir un catalyseur d’évolution muséale, intuitif et accessible, tout en respectant les principes démocratiques et scientifiques du musée de société ?
En conclusion, le musée de société, loin d’être figé, est un laboratoire d’expression sociale en perpétuelle mutation. Il incarne une utopie en construction, où institutions et communautés se rencontrent et se réinventent. Le design, comme vecteur de médiation et d’innovation, sera l’outil clé pour écrire cette prochaine étape.
1 Rivière, G-H et al., La muséologie selon Georges Henri Rivière : cours de muséologie : textes et témoignages, Dunod, 1989
Figure 1. Le futur musée de société