Danièle Wozny



[à propos de l’association Maisons de la sagesse - Traduire]

L’association poursuit une mission d’intérêt général, consistant à :
  • Créer et animer des Maisons de la Sagesse-Traduire, articulées autour de la traduction comme savoir-faire avec les différences ;
  • Susciter un réseau de lieux, d’actions et de recherche en France et dans le monde.

Pour l’accomplissement de ses missions, l’Association met en œuvre une démarche participative auprès du secteur associatif, des collectivités locales et territoriales, des institutions culturelles et de la communauté scientifique internationale.


[à propos du projet Muséo Banque]

L’exposition, présentée en 2021 par le Campus Condorcet et Maisons de la sagesse – Traduire, présente trois dispositifs pour partager une expérience pilote : celle d’habitants du territoire (Ana, Jawid, Kama et Yacine) porteurs de trois projets économiques émergeants que l’accès à un microcrédit gagé sur le prêt d’un objet et de sa biographie viendra concrétiser. Ce n’est pas la valeur monétaire ou esthétique de l’objet déposé qui détermine le montant du prêt mais celle de la valeur symbolique et culturelle de la trilogie constituée de l’objet-récit et du projet d’entreprise.

Inspirée par les banques culturelles africaines, apparues il y a une vingtaine d’années au Mali, puis au Bénin, au Togo et en Guinée Conakry, cette initiative est ouverte sur le monde via le Réseau international des valeurs culturelles solidaires (REVACS).
   
Danièle Wozny

Co - Fondatrice de l’association Maisons de la sagesse – Traduire.
Initiatrice du projet Muséo Banque

05/11/24

Pauline - Pouvez-vous me parler de l’origine du projet Muséo Banque ?

Danièle - Le projet est inspiré des banques culturelles mises en place en Afrique dans les années 2000. Il s’agissait de systèmes qui, comme muséo banque, proposaient un prêt en échange d’un objet personnel. L'idée a fonctionné tant qu’il y avait des financements de la France ou de la Banque mondiale. Mais le projet s’est délité petit à petit pour donner lieu à des sortes de musées. Ces banques ont présenté une approche occidentale de la valeur culturelle des objets exposés. Elles se fixaient sur la valeur historique ou économique de l’objet, tel que les musées la conçoivent. Il ne s’agit pas d’une valeur basée sur l’investissement de la personne dans l’objet. Nous trouvons que ce principe ne fonctionne pas principalement pour cette raison. En plus, le musée n’est pas une affaire africaine, il est imprégné par la psychologie occidentale. Nous souhaitions nous éloigner d’une classification d’objets par genres. Un objet de guerre, par exemple, selon la vision occidentale, est souvent un objet de culte parodiant la guerre, et donc éloigné de sa fonction d’origine, de sa fonction réelle.

  À partir de là, nous avons souhaité construire le projet muséo banque. Cependant, nous n’avons jamais été très clairs dans notre concept, nous expérimentons beaucoup et souhaitons en faire un projet pleinement social.

Comment vous êtes-vous approprié le concept de banque culturelle ? Quels sont les défis que vous avez rencontrés ?

  Quand on fait un projet tel que celui-ci, il faut qu’on le pilote jusqu’au bout. Il faut maintenir le projet dans son concept initial pour ne pas le dénaturer. Nous avons par exemple observé que les témoignages n’ont pas de sens ailleurs, ils doivent être ancrés dans leur environnement direct, sur le lieu de vie des habitants.

 Le crédit municipal de Marseille avait fait un projet similaire, dans lequel ils décidaient de mettre en avant des bijoux personnels (qui n’étaient que des prêts). L’exposition restituait les témoignages par la parole et c’était absolument discriminatoire, on pouvait savoir le niveau social des personnes. Il y avait aussi un côté voyeur très violent.

  Nous souhaitions également garder la parole comme cœur du témoignage, mais nous voulions la travailler différemment. Nous avons fait un montage audiovisuel que nous avons travaillé avec un professionnel du théâtre.

Cet homme avait-il aussi un rôle dans la prise de décision ?

 Oui, on a fait un énorme travail sur la question du récit. Cet homme a une sensibilité du milieu de la représentation et il “débarqué” dans le projet, il voyait les témoins pour la première fois, lorsque nous avions déjà créé des liens avec eux.

Qu’a-t-il apporté comme vision ?

 
Il nous a aidé à repérer et isoler les informations essentielles pour un public, dans l’esprit de synthèse.

Pourquoi le cadrage vertical taille humaine ?

 
Les gens étaient filmés au format vertical, avec des caméras haute définition. C’est toujours très émouvant, les gens filmés de cette manière sont beaux, présents.

Avez-vous mené des recherches particulières pour l’élaboration de ce projet ?

 
Nous avons mené une campagne de recherche avec l'université Paris 8 à propos de l’exposition des objets. Nous avons lancé avec eux un programme intitulé “comment archiver des récits d’objets” qui a été développé dans le cadre du projet muséo banque. Ils ont obtenu des budgets pour faire un voyage au Sénégal et mener des recherches avec les étudiants locaux sur place. Ils ont, à cette occasion, recueilli des récits qu’ils ont associés à des objets de leurs familles et de musées, afin de raconter des histoires, ensuite traduites en créations contemporaines. Mais dès l’instant où l'on pose l’étiquette art contemporain sur des objets, on muséalise des rituels et des pratiques culturelles. On observe au sein de l’association que la traduction en art contemporain n’est pas une très bonne voie.

  Avec cette expérience, on se rend compte à quel point on est prisonnier d’un système scientifique occidental fixant toutes nos valeurs. Dans l’association, on essaie de passer ces valeurs aux cribles de la réalité. Nous travaillons donc sous forme d’atelier, et non pas de coloc ou de séminaires, qui sont des formats moins libres, moins ouverts.

Pouvez vous me décrire l’élaboration de ce système de valeur ?

  Pour nous, la valeur est fixée par le propriétaire de l‘objet, elle est dépendante de la relation. Il s’agit de la valeur affective, une valeur consentie par la personne à l’objet.

Il s’agit donc d’un système de valeur unique ?

Oui, absolument.

C’est pour cela que vous avez décidé de donner la même disposition scénographique aux témoignages et objets dans l'exposition Muséo Banque ?

  Oui, exactement. La forme de récit se retranscrit aussi dans la description de l’objet, qui n’est pas rigoureuse, car non fixé sur la valeur marchande de l’objet.

 De plus, le récit se fait en langue originale. Lorsqu’une personne étrangère raconte l’histoire d’un objet, elle le fait avec ses propres mots. Elle attribue des caractéristiques en langue étrangère à l’objet qui ne sont pas toujours traduisibles. On est alors extrêmement vigilant à ces intraduisibles. Nous les préservons. On travaille beaucoup sur le vocabulaire et les mots, on tient à préserver leur sens et on fait tout un travail de médiation autour de ces derniers. Prenez l’exemple des savoir-faire. Des mots qui décrivent la découpe d’une peau de bête par exemple diffèrent selon les techniques et les résultats. C’est notre devoir aussi de préserver cette culture sans chercher à la réduire par la traduction. Nous cherchons à chaque fois des solutionnements propres aux besoins et aux préoccupations des personnes avec qui nous travaillons, pour les traduire le plus fidèlement à la réalité.

 Nous accordons également une importance particulière aux silences, nous les préservons et les mettons en avant, nous laissons parler l’émotion.

Dans votre projet, il y avait la notion d’échange, de flux des objets et des témoignages exposés. Cela a-t-il eu lieu ?

 Finalement non, pour des raisons économiques. Mais nous essayons de reprendre ce principe dans un autre projet. Il s’agit du projet Grenier du futur que nous menons actuellement en Afrique du Nord. Nous avons arrêté l'idée  de prêt et travaillons avec les gens pour les aider à valoriser leur savoir-faire par leurs propres moyens afin de le transmettre.

Comment ça s’organise ?

 Nous menons des sortes d’ateliers avec des femmes d’un quartier de Dakar. Ces femmes cultivent des herbes aromatiques pour les transformer et les vendre. Nous essayons de les aider à monter un site internet et un logo, à comprendre comment mettre en valeur leur culture. Nous avons, par exemple, lancé la collection Une plante un livre, qui sert de point de départ pédagogique à un apprentissage pour les parents et les enfants. Nous présentons grâce à cela des métiers de la botanique. Mais c’est à ces femmes de réfléchir à comment valoriser leur affaire, comment transmettre leurs projets et sous quelle forme. Nous impulsons certaines choses, mais observons beaucoup d' autres.


Merci beaucoup!










































       






























Banque culturelle de Fombori






















Exposition Muséo Banque
















































Atelier-laboratoire, musée Théodore Monod, Dakar

























































































https://ndaje-revacs.org/portfolio-item/greniers-du-futur/