Fernand Mendez


[à propos du spectacle Chœur d’Exil]

Spectacle présenté par le collectif « Exils en scène ». Il s’agit d’une pièce théâtrale conçue et mise en scène avec des personnes migrantes présentes dans le Soissonais.

Pendant 2 ans, un groupe de personnes originaires des deux Congo, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée ou encore du Cameroun s’est réuni chaque semaine dans une salle municipale à Soissons pour partager leurs témoignages et produire les séquences et saynètes qui peu à peu ont formé le contenu de la pièce de théâtre.
Au fil des mois, le groupe s’est renforcé et compte désormais 15 membres, accompagnés par le metteur en scène Fernand Mendez et Sylvie Heyvaerts qui a assisté le groupe et recueilli les récits.

Ce spectacle s’est tenu le 7 décembre 2024. Ils étaient 13 sur scène, 6 femmes et 7 hommes.

« Ces comédiens et comédiennes amateurs racontent leur exil d’une voix forte et assurée. Leurs mots frappent, leurs regards transpercent, leurs histoires réveillent. Ils racontent les épreuves et abus qu’ils ont subis pour atteindre l’Europe puis la France. Pour ces acteurs, c’est une libération, c’est la possibilité d’avoir la parole (pour une fois !), c’est un partage et la possibilité de rencontrer un monde nouveau. C’est aussi se donner le courage pour maintenant et après, ce peut être une thérapie pour oublier un vécu pénible et « sortir de l’enfer ». »
- Fernand Mendez


Ce projet est porté et soutenu depuis ces débuts par cinq associations, réunies au sein du collectif Exil en Scène : le Réseau Entraide Exilés (REE), Yo Contigo, le café associatif « Au bon coin », En si bonne compagnie et la Cimade Soissons.




Fernand Mendez

Metteur en scène du spectacle Chœur d’Exil

16/12/24

Pauline - Quel est le processus de conception du spectacle ?

Fernand -
Ce spectacle s’est construit sur un temps long de 2 ans. On commence par un an d’initiation au théâtre, un temps pendant lequel on travaille des éléments inhérents à la pratique artistique, via par le corps, l’expression, la voix et l’appréhension de l’espace. L’idée est de graduer les effets et les exercices dans le temps pour approfondir la maîtrise et l’expression.

  En parallèle de ça, les migrants vivent une expérience de témoignage, encadrée par un journaliste, un traducteur et Sylvie Heyvaerts (co-réalisatrice du spectacle). Ce temps dans lequel ils peuvent s’exprimer dans leur langue natale va servir de base pour construire le récit du spectacle. Ça prend la forme d’un jeu d'improvisation, qui libère la parole, à partir de l’initiation artistique qu’ils vivent en parallèle. Les enregistrements de cet échange permettent à Sylvie de réécrire avec son expertise théâtrale les témoignages pour les adapter.

  Chaque texte prend la forme d’un monologue. C’est assez complexe de concevoir des dialogues entre les témoins, au vu de la sensibilité du sujet, et de la constitution très personnelle de chaque histoire. Certaines choses ne sont pas évidentes à libérer ou à exprimer. Pour cette raison, les comédiens expriment le témoignage d’un autre.


Comment se produit le spectacle ensuite? Qui décide de la composition?

  Je suis absolument contre ce mythe du metteur en scène qui fait tout. C’est des conneries, surtout dans le cas de figure d’une pièce de théâtre - témoignage qui parle d’immigration. Je ne fais qu’impulser des idées, les témoins en apportent aussi. On discute des idées ensemble, et on les met à l’épreuve. Si ça ne marche pas c’est pas grave, mais il faut vraiment expérimenter chaque chose pour trouver la juste manière d’exposer ces témoignages.


Comment se passent ces initiations artistiques ?

  Concrètement on fait des exercices spatiaux et verbaux sous forme de jeu. Les choses se développent au fil des mois sans même qu’ils s’en rendent compte. Je crois vraiment en le fait que chacun est capable de jouer du théâtre. On a tous des capacités à développer. J'essaie de créer un environnement avec les témoins, qui encourage les capacités de chacun. Il faut valoriser chacun d’entre eux pour les aider à développer leur pratique. Je tiens particulièrement à la notion de respect, qui doit s’installer entre tous, pour que l’initiation puisse réellement porter ses fruits pour la conception théâtrale qui va suivre. On peut rire d’un tas de choses, de l’expression des autres, mais pas de la personne. Ils ne doivent pas comprendre la personne et le personnage.


Comment les aidez-vous concrètement à développer leurs capacités ?

   Je fais appel à d'autres professionnels du milieu artistique. Pour ce spectacle j’ai contacté une musicienne et une chorégraphe. Je crois que rien ne parle mieux que l’expertise.


  C’est probablement ce qui permet de produire avec le plus de justesse.

  Tout à fait. On a besoin aussi du regard des autres, de l’expertise des autres pour faire avancer le projet, le rendre plus vrai.


Comment les migrants vivent-ils cette expérience ?

 Pour réaliser le projet j’étais entouré évidemment. Un jour, Joachim de l’association du Bon coin et Anne de la Cimade, m’ont dit qu’ils trouvaient l’expérience trop dure pour les migrants. Je leur ai dit “allons leur demander leur avis”. La réponse était non. Tu ne peux pas garder de souffrance si forte pour toi… En plus, nous avions construit un environnement où ils savaient qu’ils étaient respectés et appréciés. Cet environnement leur permet vraiment de s’exprimer avec simplicité, et de donner leurs avis sur la création, qui compte autant que les autres.


 Vous avez pris le temps de tisser une relation précieuse.

  Oui, ces témoignages sont durs, il y a beaucoup d'émotion. Et mon seul travail était d'arriver à mélanger tout ça, à créer un ordre narratif, un récit cohérent. On a ensemble notamment décidé de finir le spectacle sur une note joyeuse, d’espoir. C’est vraiment une construction collective.


Comment considères-tu humainement et socialement ta propre démarche au sein de l’association Exils en Scène ?

 C’est de la mise en scène de témoignage. On met en scène la réalité et la souffrance. J’avais remarqué en répétition qu’à chaque fois qu’ils parlaient, ils baissaient les yeux. Ils ont vécu des choses très dures, mais si quelqu’un a quelque chose à se reprocher, ce ne sont pas eux. Il faut au contraire qu’ils aillent saisir le public, qui en fait joue indirectement un rôle dans la douleur, en tant qu’occidental. C’est très dur pour le public, il y a cette espèce de biais culpabilisateur sur lequel on joue. Parce que c’est avant tout un spectacle engagé pour la cause de l’immigration. Donc j'insiste vraiment pour que les témoins parlent frontalement au public. Et quand on ne parle pas, on ne bouge plus, on regarde l’horizon. C’est un peu une symbolique de la mort.


  Merci
Tu as construit toute une démarche avec un groupe, qui a besoin d’un temps long pour porter des fruits. Comment cela se passe-t-il lorsqu’une nouvelle personne arrive, ou qu’une autre part ?


  Les nouveaux ne sont pas passés par l’initiation. Ça se voit et c’est difficile à accepter pour les autres, qui portent le projet depuis longtemps, de le voir moins bien représenté, ou bâclé, par une personne qui manque d’initiation. À ce moment, je prends aussi la casquette de médiateur, pour les aider à construire de nouveaux liens. Parfois en revanche, ils exercent une forme de parrainage envers les autres, ils transmettent une expérience. C’est beau à voir.


Comment génères-tu l'esprit de groupe?

  Les différents ateliers et exercices qu’on fait cassent les rapports de forces entre les personnes. À chaque début d'atelier, j’organise un temps calme de sophrologie pour les mettre en condition, qui se clôture par un câlin général. Je tiens vraiment à ce qu’ils prennent conscience du groupe et de la force que ça peut leur offrir. On essaye aussi de célébrer beaucoup ensemble, de vivre des moments conviviaux. Et puis je fais en sorte qu’on écoute, qu’on puisse débattre facilement. Pour cela, lorsqu'on doit échanger sur un sujet important, j’organise des temps de réflexion en petit groupe de deux ou trois, suivis d’un temps groupé où chaque équipe présente ses idées face aux autres, mais ensemble.


Lorsque vous avez des temps d’échange ou de prise de décision, comment les matérialises-tu spatialement, pour éviter la création de rapports de force ?

 Pour lutter contre le rapport hiérarchique, je fais en sorte de toujours me trouver dans la même position qu’eux, assise ou debout. Personne ne doit prendre la place de juge. Quand quelqu’un vient assister aux répétitions, il s'exerce avec nous. Il est hors de question qu’il regarde sans prendre part. En ce qui concerne le groupe, on se réunit souvent autour d’une table, pour conscientiser l’acte communautaire, et favoriser la convivialité. Je tiens à la mise à égalité.


A quelle fréquence vous rencontrez-vous?

  On se rencontre 2h chaque semaine. Les témoins sont de plus en plus motivés à atteindre une forme de perfection. Ils voient que leur travail porte des fruits. Ils sont fiers.


Ils pourraient te voir comme une sorte de gourou de cette expertise qu’ils veulent acquérir.
Quelle relation entretiens-tu avec eux, pour éviter ces rapports hiérarchiques ?

  Je désamorce tout ça par l'humour et l’humilité. Ils m’appellent coach ou gourou pour m’embêter. J'essaie de développer une relation avec eux qui empêche les rapports de supériorité ou de dépendance sensible. Je veux qu’ils s’emparent réellement de ce projet qui est le leur.


  Merci !
J’ai une dernière question, le spectacle est basé sur la réalité, traite de sujet sensible, comment construisez-vous en mélangeant le témoignage, qui se veut réel, et la théâtralité, qui se veut scénarisée ?


  On essaye de raconter leurs histoires sans surjouer. La narration n’est là que pour donner un rythme, une logique. Mais il s’agit réellement de témoignages et ils doivent être exprimés sensiblement et avec réalisme. J'essaie donc de développer avec eux une juste expression, pas surjouée. Je n’ai que mon expertise et ma sensibilité pour juger ça.

  Le fait de rendre ça théâtral veut aussi dire rendre ça beau. Plus c’est plaisant, plus c’est simple pour le public de rentrer dans l’histoire. C’est toute la complexité. Ça doit être vrai et beau, enrobé, à la fois.



Merci beaucoup !
















Affiche du spectacle  Chœur d’Exil








Spectacle  Chœur d’Exil  - 07/12/24














Atelier de répétition du spectacle Chœur d’Exil















Représentation  Chœur d’Exil au café Au Bon coin - 19/04/24













Représentation  Chœur d’Exil au café Au Bon coin - 19/04/24

































Atelier de répétition du spectacle Chœur d’Exil






























Atelier de répétition du spectacleChœur d’Exil












































Représentation  Chœur d’Exil au café Au Bon coin - 19/04/24